Christian Barani, cinéaste - entretien

• Vous filmez depuis de nombreuses années l’architecture, les territoires et les paysages. Vous vous intéressez également à la représentation de l’architecte et de son travail. Comment avez-vous abordé ce film ?

  • Christian Barani : Rencontrer une nouvelle génération de professionnels et la raconter a été ma première motivation. J’étais curieux de les découvrir, de les écouter pour comprendre ce qui les anime. Jusqu’à présent, mes films m’ont plutôt amené à rencontrer des architectes du XXe siècle. Avec les AJAP 2023, j’allais pouvoir rencontrer le XXIe siècle. Travailler avec et sur la jeunesse te bouscule forcément. Elle t’oblige à te remettre en mouvement.

  • La spécificité de cette commande m’a également intéressé. Ce n’est pas la première fois que je suis invité à réaliser un film pour le compte d’un commanditaire. Mais jusqu’à présent, le sujet se conjuguait au singulier, comme dernièrement le film sur le bâtiment de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. Là, le sujet était plus complexe,multiplié par vingt-quatre !

  • Comment faire un film avec vingt-quatre agences ? Comment trouver de l’unité dans la multiplicité ? La contrainte était puissante. Pour autant, elle m’attirait.

• De quelle manière avez-vous alors engagé la préparation du film ?

  • Christian Barani : Le premier écueil qu’il fallait que j’évite était de faire un film « catalogue ». Il n’était pas question qu’il se résume à l’assemblage de vingt-quatre portraits autonomes. Il fallait que je travaille la question de l’unité du film et, travaillant la question de l’unité, aller chercher les liens susceptibles de réunir les équipes lauréates. J’ai commencé par lire les dossiers qu’ils avaient constitués et déposés au moment de leur candidature. En lisant ces dossiers, je cherchais les points communs.

  • On pourrait dire, pour reprendre le langage cinématographique, les « points de montage ». De cette lecture, est apparue une liste de mots-clés. Parmi ces liens, figuraient par exemple la question de la modestie et de l’humilité, celle du travail collectif et de la pluridisciplinarité, de réinventer une autre manière d’être professionnellement et une autre manière de faire. En particulier du fait de la crise écologique.

  • La seconde difficulté à négocier était la question de la relation avec chacun des lauréats. Nous ne nous connaissions pas. Il fallait non seulement - et très vite - apprendre à se connaître et aussi arriver à se comprendre. S’accorder sur ce que nous avions à faire ensemble et comment y arriver. Je leur ai proposé dans un premier temps que l’on échange.

  • J’ai donc eu vingt-quatre réunions (en visioconférence). Nous avons évoqué leur dossier, la lecture que j’en avais faite et la manière dont j’imaginais leur présence. Je savais par expérience qu’allait se poser la question de la posture et du discours professionnels. Et que je devais trouver les moyens de les sortir de ces habitudes pour les amener ailleurs. Là où peut s’opérer la rencontre avec d’autres publics que celui des initiés. Je ne voulais surtout pas d’un film destiné aux « professionnels des professions » !

• Que retenez-vous de cette expérience ?

  • Christian Barani : D’abord l’immense joie que j’ai eue à rencontrer ces jeunes professionnels. Ce furent de très belles rencontres. Très humaines. Je veux les remercier tous et toutes pour leur accueil et leur générosité. Je veux aussi remercier le ministère de la Culture, Hélène Fernandez, Magali Pinon-Leconte et Odile Bousquet, l’Institut français, Monica Lebrao Sendra, et le mécénat de la Caisse des Dépôts, Gabrielle Jequece, pour leur
    confiance et leur disponibilité. Il a fallu chercher, s’interroger, discuter ; la production du film était une opération inédite pour tout le monde. Je suis très heureux, à cet endroit-là aussi, de cette expérience.

  • Nous avons tous voulu que ce film soit l’occasion d’aller à la rencontre de nouveaux publics. J’espère qu’il le permettra. J’espère aussi que cette expérience cinématographique se poursuivra. Que chaque édition des AJAP soit l’occasion de solliciter d’autres cinéastes et que le concours soit, d’une édition à l’autre, l’occasion de produire une collection de films serait un beau chantier.

• Comment s’est déroulé le tournage ?

  • Christian Barani : Même si j’avais, pour des raisons d’économie de la production du film, posé un principe, il me fallait inventer à chaque fois. La manière dont j’aborde en général le tournage de mes films - sans repérage et sans préparation, telle une traversée - m’a beaucoup aidé. Souvent en arrivant, les lauréats que j’allais filmer me demandaient :

    • « Alors, on fait quoi ? ». Je leur répondais : « Je ne sais pas. ». Ils étaient plutôt déstabilisés. On commençait par se poser, prendre un café et discuter. Et suivant la discussion, on en venait à parler d’un paysage ou d’un chantier. On décidait de prendre la voiture et on partait. Sur place, on continuait de parler. Et je filmais. Les choses se faisaient ainsi naturellement. Une forme inédite et unique s’est inventée à vingt-quatre reprises.

  • Je dois tout de même vous avouer que le tournage a été assez éprouvant… Il fallait sans cesse inventer et s’adapter au réel. Et puis, il y avait une chose que je voulais absolument préserver pour qu’elle se retrouve dans mes images. J’étais heureux de partir à la rencontre de ces vingt-quatre lauréates et lauréats. Jevoulais que le tournage se déroule dans ce climat. Pour que le film puisse transmettre cette joie de la rencontre, de la découverte, du dialogue.           (entretien réalisé en mai 2025 par Luc Joulé, Image de ville)